Le coup de foudre est-il de l’amour ?

L’amour, l’amour, toujours l’amour. On en a besoin. On en veut. On en réclame. De notre première minute de vie  jusqu’à notre toute dernière. Certes, il est important de se le rappeler, c’est le besoin le plus fondamental de l’être humain. Sans amour on se dessèche et on déserte sa vie.

Un des grands lieux dans nos existences humaines où nous cherchons l’amour, c’est  la vie de couple. Il s’agit simplement de porter attention aux chansons, à l’art ou la littérature pour réaliser jusqu’à quel point la vie de couple est une expérience où l’amour s’exprime à son paroxysme. Paroxysme qui prend parfois l’allure de l’exaltation intense et de la passion folle, mais aussi celle de la déchéance et de la déchirure. En 2017, on ne peut plus faire fi de cette vérité lapidaire : le couple peut être une occasion privilégiée de bonheur et d’épanouissement, tout autant qu’un lieu de souffrance, de blessure et malheureusement … de haine.

Peut-être qu’un des pièges vient de la vision un peu puérile et idyllique que l’on entretient de la vie de couple où notre imaginaire se nourrit de princesses et de princes qui se marient, sont toujours très heureux et ont … deux merveilleux enfants.

Qu’en est-il du coup de foudre dans les relations amoureuses ? En général, on l’idéalise, on le recherche et on se conforte dans la croyance que le coup de foudre est garant d’une belle histoire d’amour éternelle et sublime. Malheureusement, il semble bien que la réalité soit moins lumineuse que cette perception  plutôt infantile et étroite.

Ma pratique comme professionnelle en relation d’aide auprès des couples m’a amenée à m’intéresser beaucoup à ce sujet au cours des dernières années. Les résultats de mes recherches sur le coup de foudre me conduisent à des conclusions bien prosaïques et  terre-à-terre. Le coup de foudre serait bien plus une affaire d’hormones que de cœur. L’essentiel de ce sentiment, où l’on perd le contrôle de soi, est déclenché par une forte réaction chimique au contact de l’autre. Phénomène qui rend complètement fou, obnubilé et en grande partie aveugle, comme le dit le proverbe populaire au sujet de l’amour. Ce sont donc les hormones, particulièrement les phéromones, qui sont en jeu quand la rencontre de l’autre nous fait totalement chavirer.

En fait, les scientifiques affirment que derrière le coup de foudre et son déclenchement d’hormones,  c’est l’instinct de reproduction de l’être humain qui se joue. De par notre instinct animal, nous sommes génétiquement programmés pour la reproduction. Le coup de foudre serait donc vécu entre des personnes qui sont biologiquement compatibles. Le tout, bien entendu, dans une totale inconscience des protagonistes. Les sens sont extrêmement interpellés dans cette aventure de séduction sexuelle. Particulièrement l’odorat. Ce sens, est semble-t-il, déterminant. Mais aussi le regard, la voix, le premier contact physique, le premier baiser. Toutes ces sensations sont nécessaires au cerveau submergé d’hormones pour détecter la compatibilité génétique afin de répondre à l’instinct reproducteur. En résumé, le cerveau allume le corps au maximum afin qu’il consacre toutes ses ressources à ce ou cette candidat-e idéal-e pour la reproduction.

Voilà pourquoi les gens qui vivent un coup de foudre perdent le nord et sont subjugués par l’autre, même s’ils se connaissent seulement depuis quelques minutes ou quelques heures. Cette rencontre soudaine les projette sur une autre planète où les émotions, les sensations et les désirs sont à leur zénith. Dans cet état d’euphorie, les nouveaux amoureux pensent qu’ils viennent de rencontrer l’amour avec un grand A. En fait, ce qu’ils vivent c’est plutôt d’être possédés par un flot d’hormones incontrôlables.

Ce phénomène d’hormones, nommé le coup de foudre, a pour conséquence de biaiser les perceptions. L’autre de qui on tombe en amour est idéalisé. On le met sur un piédestal. À la limite, on le déifie. En fait, on tombe en amour avec l’amour. Plus particulièrement avec les sensations de l’amour. On est en relation avec l’image mystifiée que l’on s’est construite de l’autre et non pas avec qui il est réellement. On a l’impression d’avoir trouvé l’âme sœur, LA personne parfaite qui nous convient parfaitement.  On baigne dans l’illusion qu’on est pareil et que ces sensations intenses vont durer toute la vie. Sans en être le moindrement conscient, on est plongé dans le festival de l’aveuglement et de la fausse symbiose rassurante.

Mais la réalité de la vie vient rattraper les amoureux aveuglés par leur décharge d’hormones. Après un certain temps (selon les couples, entre six mois et trois ans) on déchante, on se désillusionne. On voit l’autre sous son vrai jour. Avec ses défauts, ses limites et ses fragilités.  Ses différences tout à coup nous sautent aux yeux et deviennent des irritants majeurs. La déception est intense. Les frustrations aussi. Autant au début, on a l’impression d’être au septième ciel, on se retrouve maintenant en enfer. L’amour s’effrite, se bataille et même disparaît, jusqu’à devenir parfois haine et vengeance. On a malheureusement trop dans notre entourage de ces couples qui sont passé d’un extrême à l’autre. Pour ma part, j’assiste à ces déchirures avec impuissance, avec un petit fond de mal de cœur.

Au-delà des hormones, qu’est-ce qui se cache au niveau psychologique derrière le coup de foudre ? De nombreux psychologues en viennent à la conclusion que sous cette fusion totale, où il n’y a plus deux JE qui existent, mais uniquement un NOUS, où les deux entités sont confondues, se cache un grand vide intérieur et un manque affectif à combler. Ce qu’on appelle la dépendance affective. Un mal-être que l’on cherche à faire disparaître dans la fusion illusoire avec l’autre. Enfin, quelqu’un va s’occuper de nous comme lorsque nous étions petits nos parents l’ont fait … ou ne l’ont pas fait. La recherche de ces sensations fortes du début d’une relation manifeste donc une forme importante d’immaturité affective.

Est-ce qu’après le feu de paille hormonal les amoureux peuvent demeurer en amour ? Bien sûr que la réponse est OUI. Mais il semble que statistiquement ces situations sont rares. Pour qu’un couple dure, cela demande de chacun des partenaires une grande maturité affective. C’est-à-dire une capacité d’assumer son individualité et son unicité tout en s’investissant réellement dans la relation. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que c’est très exigeant d’aimer. D’aimer l’autre tel qu’il est, sans vouloir le changer. D’aimer l’autre quand on sait tout de lui, ses défauts, ses forces, ses limites. Aimer demande un engagement, un investissement. J’imagine que c’est cela que St-Exupéry a voulu dire : « c’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait que ta rose est si importante ».

À l’heure des réseaux sociaux qui envahissent notre quotidien, où un seul clic suffit à exprimer son J’AIME, la vie de couple se trouve mise à rude épreuve. Dans cette ambiance superficielle et artificielle, on est loin de l’engagement et du don profond de l’amour.  De fait au Québec, on se marie de moins en moins et on se sépare de plus en plus rapidement. Autant la vie de couple offre des possibilités exceptionnelles d’épanouissement, autant elle demeure un défi colossal pour chaque homme et chaque femme qui s’y aventure.

Peut-être le coup de foudre doit-il d’abord avoir lieu à l’égard de soi-même afin que l’amour que l’on a pour soi, soit suffisamment solide et vivant pour qu’il devienne garant de la beauté et de la profondeur de l’amour que l’on peut offrir à l’autre ?

Linda Léveillée
Professionnelle en relation d’aide psychologique